Un travail qui réconforte.

Hier j’avais besoin de réconfort, et tu sais où je l’ai trouvé ? Au boulot. C’est dingue, non ? Je me suis dit  C’est fou. C’est beau.

Je ne suis pas une pro-travail, je suis une pro-aimer ce qu’on fait, y trouver sens et vie ou bien partir. C’est trop important tout ce temps qu’on passe hors de chez soi. Je trouve que cela doit apporter un plus, au delà du financier, sinon c’est trop minant. En tout cas j’y suis devenue tellement sensible, les ambiances et les mal-êtres ( être mal, se sentir mal, les gens en détresse, les qui tapent l’incruste et emm….tout le monde au lieu de prendre de l’air, les qui règlent leurs problèmes personnels au boulot, les complicités institutionnelles, les choses qu’on fait mais qu’on devrait ne pas faire, celles qu’on subit malgré nous envers et contre toute éthique personnelle – en particulier dans les domaines sanitaires-sociaux que je connais, etc etc), non ce n’est plus pour moi pour le moment. Chu pô capable, comme diraient les québécois.

J’ai souvent travaillé à temps partiel, y compris en cumulant deux ou trois job dans des structures, des contenus et des contextes différents, et je me rends compte que c’est cela qui me convient le mieux. 2010 a été une année bénie pour moi car j’ai pu réintégrer un travail de formatrice en français, pour adultes, dans le domaine de l’alphabétisation et de la lutte contre l’illettrisme dans un lieu que j’aime beaucoup, au sein d’un « quartier », avec des femmes d’origines étrangères. Je fais des remplacements maternité, c’est provisoire mais là ça dure et c’est d’autant plus précieux. Avoir quitté ce job en 2003, où j’avais un poste dans cette même structure, est peut être la seule chose que je regrette dans ma vie, mais bon, c’est comme ça.

Et hier j’ai réalisé à quel point cela m’apportait. D’habitude je me consacre plus sur ce que j’apporte aux autres tout en sachant que c’est extrêmement mutuel. Mais hier elles m’ont sauvé la mise mes petites dames. On est heureuses ensemble. Sortir pour deux heures de cours est souvent LA sortie, et le seul moment où elles sont en contact avec la langue française. Les cours ne sont pas des cours, ce sont plutôt des ateliers avec une pédagogie pragmatique basée sur leurs besoins au quotidien. Régulièrement nous buvons thé et café tout en travaillant.

L’année dernière, avec un des groupes, nous avons créé un imagier : un dessin-un mot

Cette année j’ai un groupe très passif, le matin. Des femmes qui sont « handicapés de la communication » avec vingt ans de vie ici, elles ne savent toujours pas l’alphabet. Elles sont marocaines et ne sont jamais allées à l’école. Tracer une lettre est un challenge. Elle ont du mal à découper des lettres tracées sur du papier. Monter sur une chaise leur est pénible ( pour accrocher un dessin, etc). C’est vous dire…qu’il m’a fallu trouver une idée, un fil conducteur ludique et qui porte quand même une illusion d’apprentissage.

Et j’ai créé l’Atelier du calendrier. Une à deux fois par semaine , sur des bouts de papiers, en coloriant, dessinant, en découpant dans des magazines…elles mettent au mur les jours et les mois. Nous n’avons aucun budget, on fait avec de la récupération de vieux papiers, je n’ai même pas de bons gros feutres corrects et pas encore de gouache et pinceaux comme j’aimerais. Je ne sais d’ailleurs même pas si il y aura de quoi m’embaucher en septembre ni de quoi continuer les cours. De nos jours tout ce qui est apprentissage qui-ne-conduit- pas-vers-un-emploi est beaucoup moins subventionné.

 

Notre salle était très moche, vieille et peinture jaune pisseux, la voilà tapissée de couleur. Elles sont heureuses et fières, elles viennent signer leurs  » oeuvres » en les accrochant petit bout par petit bout. Et moi j’ai un alphabet géant sur les murs.

Il n’y a pas de réel enjeu linguistique  ni de notions de résultats car ces personnes n’utilisent pas notre langue, donc elles ne peuvent pas apprendre vraiment. Une langue est vivante, elle se pratique, il faut du coeur, de l’envie, des besoins impérieux pour l’assimiler. Ce n’est pas leur cas. Mais l’enjeu est ailleurs et de taille. C’est celui des possibles. OUI je peux, NON je n’abandonne pas, oui je sors de chez moi, j’achète un cahier, des crayons, des ciseaux et de la colle et je vais  » à l’école » quelque soit mon âge et ma condition sociale. Moi, femme, qui n’ai pas eu cette chance dans mon pays.

Ainsi coulent les jours entre nous et alors, même pour 15h hebdo et 600 euros mensuels, ce que j’y trouve n’a pas de prix.

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8 commentaires sur « Un travail qui réconforte. »

  1. oui, quelle belle chose de pouvoir travailler avec ‘l’humain  » , je comprends totalement ton investissement dans cette tâche que tu sais pourtant « inutile » , mais elle est justement encore plus merveilleuse , car « gratuite » , sans les impératifs d’évaluation, de rentabilité , c’est simplement du plus de vie , plus de chaleur , du lien , du vrai!!
    et c’est GIGANTESQUE!!!
    Merci Lôlà !!
    moi aussi , avec mes caisses de fourbi que personne ne m’oblige à trimballer, en fin de compte , mes bricolos improbables et hilarant, mes échappées de foldingue fille rouge des rues qui gueule des chansons en une langue qui n’existe pas , je me fais l’effet d’être en décalage ( c’était outrancier cette débauche de Noël mercantile dans les rues de Montpellier ) et j’adore donner du rêve et de l’insolite , du superflu qui fait du bien aux gens , ça ne s’achète pas et c’est ce qui ensoleille !
    Bises!

  2. c’est tellement juste ce que tu dis là, chère Passagère:-)
    (une fois de plus…)
    T’ai-je déjà souhaité une année pleine de merveilles, à la hauteur des trésors de ton cœur et de ton âme ?
    A bientôt 🙂

  3. Voilà voilà le discours qui passe dans ma tête depuis tant de mois…voilà voilà que tu me montres que c’est possible. Ta voie, est belle. Merci, toi.

  4. Merci à vous passagères de l’inutile indispensable !!
    Il me faut peut être préciser que ce sentiment fort dans ce travail intermittent et provisoire vient aussi après de nombreuses années, de multiples boulots, ici et loin, un bilan de compétences en 93-94 et trois puis deux années de reprise d’études universitaires. Un chemin, donc, un chemin peuplé et pas si buissonnier.

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